Ondes dans la réaction BZ

Journées portes ouvertes - Lycée Faidherbe
17 mars 2001

Réactions oscillantes - Ondes chimiques
G. Dupuis & N. Berland

Also available : english version


Introduction

Journées portes ouvertes
Chaque année, les journées portes ouvertes du lycée Faidherbe offrent l'occasion de présenter quelques manipulations de physique et de chimie susceptibles d'intéresser un public constitué pour l'essentiel, de futurs élèves et de leurs familles. Nous remercions C. Perraudin professeur attaché au laboratoire pour sa participation à la mise au point des expériences. Ce travail a été rendu possible grâce à la compétence et à la disponibilité de L. Hancelin et M. Carabelli appartenant à l'équipe technique du laboratoire de chimie du lycée.

Thème
La croissance d'une plante, le développement d'un embryon, impliquent un ensemble de phénomènes complexes qui conduisent à une organisation élevée des atomes et des molécules qui les constituent. La biologie nous fournit beaucoup d'exemples de ce type de comportement collectif. Certains systèmes chimiques qui mettent en jeu un nombre de réactifs limité peuvent également s'auto-organiser spontanément. On peut classer ces phénomènes en deux grandes catégories :

L'étude des systèmes appartenant à ces catégories a été menée activement ces dernières années car on pense qu'ils peuvent servir de modèles pour la compréhension de systèmes plus complexes. Cette étude a également permis de valider certains développement théoriques concernant plus particulièrement la thermodynamique des processus irréversibles dans des domaines éloignés de l'équilibre.
Les expériences présentées sont relatives à la réaction de Belousov-Zhabotinsky. La partie théorique est réduite au minimum. Il nous a cependant paru intéressant de prolonger les expériences par quelques notions simples de thermodynamique afin de replacer ces manipulations dans un contexte qui ne soit pas uniquement qualitatif.

Auto-organisation temporelle

Qu'appelle-t-on réaction oscillante ?
Le bilan d'une réaction chimique telle que nous l'observons à l'échelle macroscopique, représente la somme d'un grand nombre de réactions élémentaires à l'échelle microscopique. Celles-ci mettent en jeu des intermédiaires qui sont successivement créés, puis détruits. Dans la plupart des réactions chimiques, les concentrations de ces espèces dépendent du temps de façon monotone. Une réaction oscillante est une réaction au cours de laquelle les concentrations de certains composés augmentent, puis diminuent alternativement, pendant une certaine durée, entre deux limites. La réaction peut s'accompagner d'une modification plus ou moins périodique de certaines propriétés du mélange comme la couleur, l'absorbance ou le potentiel redox moyen. Certains systèmes présentent une périodicité temporelle remarquablement stable et se comportent comme de véritables horloges chimiques.

Historique

Aspect expérimental
La réaction présentée est celle de Belousov-Zhabotinsky. La réalisation de la manipulation ne présente pas de difficultés particulières. On commence par préparer des solutions dans l'eau des réactifs. Les valeurs des concentrations utilisées sont données ci-dessous en mol.L-1. On les trouve dans la littérature proposées par différents auteurs (voir par exemple les références
[11] et [12]). Après avoir mélangé les réactifs dans un grand bécher, on porte le milieu réactionnel à une température voisine de 25 ° C en réalisant une bonne agitation. Les oscillations s'amorcent au bout de quelques secondes.

KBrO3

Ce(NH4)(NO3)5

CH2(COOH)2

H2SO4

[Fe(oPhen)3]

6,25 10-2

2,0 10-3

2,8 10-1

1,5

6,0 10-4


Ces oscillations de concentrations se traduisent par une variation du potentiel rédox moyen de la solution au cours du temps.

L'animation ci-contre, donne une idée approximative du phénomène observé au cours de la réaction de Belousov-Zhabotinsky. La couleur passe du rouge au bleu vert. En l'absence d'indicateur, on observe le passage de la couleur jaune à l'incolore.
La manipulation doit être effectuée sous une hotte ventilée car la réaction s'accompagne d'un dégagement de dibrome notamment vers la fin.

La courbe donnant le potentiel moyen (pot) de la solution en fonction du temps est donnée ci-dessous :


L'analyse de Fourier du signal peut être facilement obtenue à l'aide du logiciel Synchronie. Comme le montre le graphique ci-dessous, le spectre comporte une seule fréquence fondamentale ce qui traduit le caractère parfaitement périodique du phénomène. La présence d'harmoniques est due au caractère non sinusoïdal du signal. On a réalisé une horloge chimique.


Mécanisme de la réaction BZ
Le mécanisme complet de la réaction BZ a été établi par R. M. Noyes, R. J. Field et E. Körös. Ce mécanisme FKN comporte 18 réactions impliquant 21 espèces chimiques différentes. Un mécanisme simplifié a été proposé par les mêmes auteurs. Il a été appelé Oregonator en référence à l'université d'Oregon à laquelle ils appartenaient à l'époque. Les différentes phases de ce mécanisme sont représentées ci-dessous.

  • Production autocatalytique de HBrO2

    La réaction qui combine les deux précédentes est :

    Cette réaction est autocatalytique. Le composé HBrO2 catalyse sa propre formation. La vitesse de la réaction est alors proportionnelle à la concentration en HBrO2.
    La théorie montre que la présence d'une telle boucle de rétroaction est nécessaire à l'apparition des oscillations.

  • Consommation de HBrO2

  • Oxydation des composés organiques

  • Modèles cinétiques
    De nombreux modèles cinétiques ont été proposés pour décrire la dynamique de la réaction BZ. Afin de simplifier les équations, nous utiliserons les notations ci-dessous :

    Composé

    BrO3-

    Orga

    HBrO

    HBrO2

    Br-

    Ce4+

    Notation

    A

    B

    P

    X

    Y

    Z


    Avec ces nouvelles notations, le mécanisme FKN simplifié s'écrit :






    L'oxydation des substrats organiques est le fruit de plusieurs réactions élémentaires parmi lesquelles intervient notamment l'équilibre de tautomérie entre l'acide malonique et son énol. Dans une approche simplifiée, la concentration [B] en composés organiques, est supposée constante. Le coefficient f est traité comme un paramètre ajustable compris entre 0,5 et 2,4.
    Les équations cinétiques correspondantes sont les suivantes :




    Le système précédent présente l'importante particularité d'être non linéaire. Des solutions peuvent être obtenues par des méthodes numériques. On observe effectivement des solutions oscillantes pour des valeurs de f comprises entre 0,5 et 2,4.

    Régime chaotique
    Les années 70 ont marqué le développement très important de travaux consacrés aux phénomènes non linéaires. L'une des conclusions les plus remarquables qu'on peut tirer de cette étude, est que certains systèmes dynamiques appartenant à des domaines variés de la physique, présentent la particularité d'avoir un comportement parfaitement imprédictible bien que décrits par des lois déterministes. Cette circonstance a priori paradoxale est liée au fait que ces systèmes, possèdent une grande sensibilité aux conditions initiales. On a donné le nom de chaos-déterministe à l'ensemble des phénomènes présentant cette particularité. Il est alors logique de se demander si la réaction BZ, dont le comportement dynamique est décrit par des équations non linéaires, peut être le siège d'un tel comportement chaotique. Des expériences menées en 1977 par Schmitz et Hudson ont permis de mettre en évidence l'apparition du chaos dans la réaction BZ. La réaction BZ a ainsi permis de tester certains aspects de la théorie des systèmes dynamiques
    [5], [24].

    Auto-organisation spatiale

    Le phénomène de diffusion
    Déposons délicatement une goutte d'encre dans un verre d'eau. L'encre finit par envahir tout le milieu. Lorsqu'une solution est globalement au repos dans un environnement de température uniforme, les phénomènes de convection peuvent être négligés. Dans ces conditions, le transport de matière au sein de la solution n'est assuré que par la diffusion. On désigne ainsi un transport de matière particulier qui s'effectue sous l'influence d'un gradient de concentration. Le sens du transfert spontané est celui des zones de concentrations élevées vers les zones de concentrations plus faibles. Quand elle intervient seule, la diffusion a donc pour effet d'égaliser peu à peu la concentration de l'espèce qui diffuse aux différents points de la solution. La situation peut être complètement différente en présence d'une réaction chimique présentant des étapes autocatalytiques comme la réaction BZ. Le couplage entre réaction chimique et diffusion peut en effet donner lieu à des phénomènes d'organisation dans l'espace. On peut les séparer schématiquement en deux catégories :

    Ondes chimiques
    La découverte des ondes chimiques a été faite par A. Zhabotinsky. Les premières études systématiques relatives à la réaction BZ ont été publiées par A. Winfree en 1972
    [35]. La manipulation présentée consiste à mettre en évidence la propagation d'ondes chimiques lors du déroulement de la réaction BZ réalisée en couche mince dans un milieu non agité. Le mode opératoire utilisé est à peu de choses près, celui proposé par J. -C. Micheau qui l'a décrit en détail dans [14]. On commence par préparer les trois solutions suivantes :

    Sous une hotte ventilée, on verse dans un erlenmeyer de 100 mL, successivement 20 mL de la solution A et 5 mL de la solution B. On observe un dégagement de dibrome provoqué par la réaction entre les ions bromure et les ions bromate en milieu acide (I).
    On agite alors le mélange sous la hotte pendant quelques minutes jusqu'à ce que le dégagement de dibrome ait cessé. On ajoute alors 3 mL de la solution C, (II).
    La solution est versée lentement dans une boite de Pétri de façon à former une couche d'environ 1 mm d'épaisseur recouvrant le fond (III).

    gants+hotte

    gants+hotte

    gants+hotte

    I

    II

    III

    Au bout de quelques minutes les premières structures cibles apparaissent en plusieurs points de la boite.

    Ondes dans la réaction BZ


    La photographie de gauche représente quelques structures cibles obtenues dans une boite de Pétri dont le fond est recouvert d'une mince couche < 1mm du mélange décrit plus haut. Les cercles concentriques de couleur sombre qui se détachent sur le fond plus clair, matérialisent des fronts de concentrations. Ils se propagent radialement à partir du centre de la structure qui apparaît en bleu sombre sur la photographie.
    Des spirales peuvent apparaître. Au bout d'une quinzaine de minutes le phénomène affecte tout l'espace.

    Lorsque l'on utilise comme composé organique l'acide malonique, la réaction BZ possède l'inconvénient de conduire au dégagement d'un gaz : CO2. Plusieurs voies ont été explorées afin de développer une réaction sans dégagement gazeux. Dans l'une d'elles qu'on peut considérer comme une variante de la réaction BZ, l'acide malonique est remplacé par la cyclohexane-1,4-dione ou la cyclohexane-1,3-dione (CHD). Le système réactionnel est alors : CHD/BrO3-/Ce4+/H+ [32].


    Ondes dans la réaction BZ


    La photographie ci-contre représente le croisement d'ondes chimiques dans un système de réaction-diffusion. Dans cette variante de la réaction BZ, l'acide malonique est remplacé par une cyclohexanedione (CHD). Le système est : CHD/BrO3-/Ce4+/H+.



    Nous remercions le professeur A. M. Zhabotinsky (Brandeis University Waltham) de nous avoir donné l'autorisation d'utiliser cette photographie [31].

    In 1993, Anatol M. Zhabotinsky et ses collaborateurs ont mis en évidence expérimentalement la réflection et la réfraction d'ondes chimiques en réalisant la réaction BZ dans un gel. En résolvant les équations non linéaires qui régissent le système de réaction-diffusion, R. Dilao et J. Sainhas de l'instituto Superior Técnico à Lisbonne au Portugal ont montré par le calcul que les ondes chimiques suivent des lois analogues aux lois de Snell-Descartes [40], [6].

    Structures de Turing
    Le mathématicien anglais Alan Turing, a cherché à jeter les bases d'une théorie de la morphogénèse. Dans un article publié en 1952, intitulé : The chemical basis of morphogenesis
    [15], il a montré comment une réaction chimique couplée à un phénomène de diffusion pouvait conduire à des distributions périodiques dans l'espace des concentrations de certaines espèces chimiques. L'observation de structures de Turing soulève plusieurs problèmes d'ordre expérimental, en particulier la nécessité d'éviter tout phénomène de convection afin que le transport de matière soit le fruit de la diffusion seule. Dans ce but, des réacteurs dans lesquels la réaction est effectuée dans un gel ont été mis au point (voir par exemple le site du CRPP [19]). L'observation expérimentale des structures de Turing est assez récente. En 1989 l'équipe de P de Kepper cherchait à visualiser les ions iodure, activateurs dans la réaction réaction CIMA (chlorite, iodure, acide malonique) dans un tel réacteur. Après avoir ajouté de l'amidon afin qu'il serve d'indicateur, ces chercheurs ont vu apparaître spontanément des rangées régulières de taches dans le réacteur, c'est à dire précisément les structures prédites par Turing [37]. L'observation de ce type de structure nécessite plusieurs conditions :


    Structure de Turing dans la réaction CIMA


    La photographie ci-contre représente un exemple de structure dissipative chimique dans la réaction CIMA. Les zones de couleur violette correspondent à des régions où la concentration en ions iodure est élevée. Pour d'autres concentrations des réactifs de départ, les structures peuvent présenter des symétries différentes.

    Nous remercions le Dr. J. Boissonade (Centre de Recherches Paul Pascal) de nous avoir donné l'autorisation d'utiliser cette photographie [19].

    Il est à noter que d'autres structures de non-équilibres produisent des motifs du mêmes types (bandes ou hexagonales). C'est le cas de l'instabilité de Bénard en thermodynamique.

    Un peu de thermodynamique

    Les principes de la thermodynamique constituent un cadre très général dans lequel il est possible de décrire le comportement à l'échelle macroscopique de systèmes constitués d'un très grand nombre de microparticules.

    Le premier principe
    Le premier principe consiste à admettre qu'à tout système thermodynamique on peut attacher une fonction d'état appelée énergie interne U, extensive et additive, des paramètres d'état du système. Sa variation entre deux états est égale à la somme des énergies transférées entre celui-ci et son environnement. Le premier principe n'effectue pas de distinction entre un transfert d'énergie ordonnée (travail dW) ou localement désordonnée (chaleur dQ) qui interviennent à travers leur somme. Pour un système fermé au repos macroscopique, on écrira :

    dU = dQ + dW

    Un système isolé n'échange ni matière ni énergie avec son environnement :

    dU = 0

    L'énergie interne d'un système isolé est donc constante. Le premier principe traduit la conservation de l'énergie d'un système isolé.
    La plupart du temps un système est le siège d'échanges avec son environnement. Un cas particulier, important en chimie, est celui des transformations thermomécaniques qui ne mettent en jeu qu'un transfert de chaleur et un transfert de travail par le biais des forces de pression. Dans ce cas :

    dW = - Pe.dV

    Si l'équilibre mécanique entre le système et son environnement est réalisé : Pe = P

    dU = dQ - P.dV

    Si la pression P est constante, ce qui est le cas notamment pour les transformations qui sont effectuées à la pression atmosphérique :

    dQ = dHP

    A condition de poser :

    H = U + P.V

    La chaleur échangée est égale à la variation d'une nouvelle fonction d'état : l'enthalpie (du grec thalpein chauffer) symbolisée par la lettre H (heat). La mesure de la chaleur échangée est donc possible en précisant seulement l'état initial et l'état final du système. Il ne reste plus qu'à choisir ceux-ci de façon à ce qu'ils soient facilement reproductibles.

    Le deuxième principe
    Partons d'une expérience facile à réaliser. Comme chacun l'a remarqué, une goutte d'encre versée dans un verre d'eau se disperse spontanément. Au bout de quelques minutes, l'encre finit par envahir tout l'espace qui lui est offert. Le phénomène physique mis en jeu s'appelle
    diffusion. Une fois mélangés, une modification irréversible du système est intervenue. Personne n'a jamais vu l'encre d'une telle solution se concentrer d'elle même au point de se rassembler à nouveau sous la forme d'une goutte non diluée !
    Le deuxième principe peut être mis en relation avec ce type de constatation expérimentale assez banale mais dont la portée est profonde et très générale. Les transformations spontanées se déroulent dans un sens privilégié. Elles présentent un caractère irréversible qui porte la marque du temps qui passe. Ces transformations permettent donc d'effectuer une distinction nette entre des évènements passés et présents. Elles assignent au temps un sens privilégié d'écoulement.

    Le second principe fait intervenir une fonction d'état additive et extensive, notée S. L. Clausius a créé pour la désigner le mot entropie. La première et la dernière partie du mot en et ie pour marquer ses similitudes avec l'énergie. Dans le corps du mot, trope traduit la notion de changement.
    Plusieurs énoncés ont été donnés du second principe qui historiquement trouve son origine dans l'étude du fonctionnement des machines thermiques. L'un des plus fructueux pour l'application à l'étude des phénomènes irréversibles a été formulé par le chimiste belge d'origine russe I. Prigogine [27]. Ce dernier a obtenu le prix Nobel de chimie en 1977 pour l'ensemble de ses travaux en thermodynamique. L'énoncé de Prigogine met l'accent sur la notion de bilan d'entropie entre deux états successifs. Dans cette optique, la variation d'entropie d'un système peut être écrite comme la somme de deux contributions :

    dS = diS + deS

    diS < 0

    diS = 0

    diS > 0

    Non spontanée

    Equilibre

    Spontanée

    Un système isolé en évolution spontanée est le siège d'une production d'entropie. Contrairement à l'énergie, l'entropie n'est pas une grandeur conservative.

    Le second principe permet ainsi d'effectuer une distinction entre les transformations spontanées (ou naturelles) et les transformations non spontanées (ou impossibles sans intervention extérieure).
    L'équilibre thermodynamique correspond à un état particulier pour lequel la production d'entropie est nulle. Il correspond au terme final de l'évolution spontanée du système. C'est un exemple d'état attracteur.

    Transformations réversibles
    Considérons une transformation spontanée d'un système. Le second principe ne permet d'écrire pour la différentielle de l'entropie qu'une inégalité souvent difficile à exploiter. Mais puisque l'entropie est une fonction d'état, il est possible de calculer ses variations en utilisant au moins formellement une transformation particulière. Dans ce but, la thermodynamique des états d'équilibre (qu'on pourrait qualifier de thermostatique) fait jouer un aux transformations dites réversibles un rôle de premier plan. Ces transformations réalisent une sorte de paradoxe car elles peuvent être effectuées indifféremment dans un sens ou dans l'autre. On peut les considérer comme une suite continue d'états d'équilibre entre le système et son environnement. On comprend qu'elles ne peuvent constituer qu'un cas limite idéal. Entre deux états quelconques d'une transformation réversible on a :

    diS = 0

    Le calcul de la variation de S est possible par le biais de cette transformation artificielle car elle est quantitativement équivalente à une transformation qui impliquerait un transfert réversible d'énergie sous forme de chaleur.

    Affinité chimique
    Lorsqu'un système est le siège d'une réaction chimique, l'entropie peut être considérée comme une fonction de l'énergie U, du volume V et des quantités de matières nk des différents constituants. Dans un système fermé, les nk ne sont pas indépendantes car elles sont liées par la stœchiométrie de la réaction. Leurs variations peuvent alors s'exprimer en fonction d'une variable d'état commune : l'avancement x.

    S = S (U, V, x)

    A ce stade, il est utile d'introduire une nouvelle grandeur d'état que le chimise belge de Donder, a appelé affinité (1922). Elle est notée A [1], [16]. L'affinité est directement reliée à la production d'entropie :

    diS = (A/T).dx

    T est la température du système. Introduisons la vitesse v de la réaction :

    v = dx/dt

    On peut réécrire la relation précédente sous la forme :

    diS/dt = (A/T).v

    La production d'entropie par unité de temps apparaît comme le produit de deux termes :

    On peut distinguer deux cas de transformations spontanées séparés par la situation d'équilibre chimique. Ils sont résumés dans le tableau ci-dessous :

    A < 0

    A = 0

    A > 0

    dx/dt < 0

    dx/dt = 0

    dx/dt > 0

    Si le système est le siège de n réactions chimiques, la relation précédente peut être généralisée :

    diS/dt = S (An/T).vn

    Elle permet de distinguer trois domaines de la thermodynamique qui, comme le souligne I. Prigogine dans La nouvelle alliance [4], correspondent aux trois stades d'évolution de cette discipline.

    Potentiels thermodynamiques
    Plusieurs grandes lois de la physique peuvent être déduites de principes d'extremum. La mécanique, dans sa formulation lagrangienne, est fondée sur le principe de Maupertuis-Hamilton. Les équations du mouvement d'un corps peuvent être obtenues en recherchant les conditions qui minimisent une grandeur appelée action. De la même manière, les conditions d'équilibre d'un système thermodynamique peuvent être formulées en recherchant les paramètres qui rendent extrémale une fonction potentiel.
    Pour un système isolé l'entropie joue le rôle d'une telle fonction. Dans une transformation spontanée d'un système isolé, l'entropie augmente jusqu'à atteindre sa valeur maximale à l'équilibre. On a en effet :

    dS = diS

    Les systèmes étudiés en chimie sont fréquemment soumis à des contraintes extérieures qui fixent les valeurs de certains paramètres du système. La température et la pression figurent parmi les contraintes les plus faciles à maitriser expérimentalement dans les manipulations courantes. Nous allons nous limiter au cas où les paramètres intensifs, pression et température sont ajustés de telle sorte que le système soit le siège d'une évolution isotherme et isobare. L'équilibre mécanique et thermique entre le système et son environnement étant réalisé, la réaction chimique est la seule cause d'irréversibilité. Dans ce cas, comme l'a montré le physico-chimiste américain J. W. Gibbs, fondateur de la thermodynamique chimique, il est commode d'introduire une nouvelle fonction d'état, la fonction de Gibbs (d'où la notation G) du système.

    G = H - T.S

    On l'appelle aussi, surtout en Europe, la fonction enthalpie libre car elle correspond à la part de l'enthalpie qui peut être convertie en travail utile sous certaines conditions. Calculons sa différentielle à T et P constants.

    dGT,P = dU + P.dV - T.dS

    Pour une transformation thermomécanique :

    dU = - P.dV + dQ

    On obtient :
    dGT,P = - T.diS

    Puisque :

    diS = (A/T).dx

    dGT,P = - A.dx

    (G/x)T, P = - A

    Le critère général d'évolution spontanée se traduit dans le cas particulier d'une évolution isotherme et isobare par :

    (G/x)T, P < 0

    L'évolution spontanée du système se poursuit jusqu'à l'équilibre qui se caractérise par :

    (G/x)T, P = 0

    La fonction G joue donc le rôle d'une fonction potentiel. L'état d'équilibre d'un système en évolution isotherme et isobare peut être défini comme celui qui correspond au minimum de G. Notons que G étant une fonction d'état il est possible d'étendre ces conditions à un ensemble plus large : celui des transformations monothermes et monobares.

    Supposons à présent qu'une petite fluctuation des variables intensives éloigne momentanément le système de son état d'équilibre. Nous la traduisons par une modification dx de l'avancement de la réaction. Le système est perturbé puis à nouveau livré à lui même. Les phénomènes irréversibles auront alors tendance à faire régresser cette fluctuation et le système reviendra spontanément à l'équilibre. Autrement dit l'état d'équilibre est stable vis à vis des fluctuations qui affectent le système. Lorsque le système a atteint l'état d'équilibre, il ne peut le quitter spontanément.
    Une conséquence importante de la stabilité de l'état d'équilibre vis à vis des fluctuations est l'impossibilité d'observer des oscillations de concentrations au voisinage de cet état. En revanche, contrairement à ce que pensaient les détracteurs de Belousov, il est parfaitement possible d'observer de telles oscillations si le système est dans un état éloigné de l'équilibre.

    Systèmes dans un état éloigné de l'équilibre
    L'étude des systèmes chimiques dans un état éloigné de l'équilibre constitue l'une des applications les plus marquante de la thermodynamique des processus irréversibles. C'est aussi l'une des plus prometteuses, ce domaine étant à l'heure actuelle en plein développement.
    Nous avons vu qu'un système thermodynamique au voisinage de l'équilibre est en général stable vis à vis des fluctuations des paramètres d'état (mis à part dans certaines conditions critiques). La situation peut être tout à fait différente pour un système éloigné de l'état d'équilibre.

    L'une des conséquences de la non linéarité des équations concerne l'effet des fluctuations sur l'évolution du système. Ces dernières qui, dans les systèmes proches de l'équilibre assuraient la stabilité de cet état, peuvent cette fois conduire un système instable vers des états nouveaux qui peuvent être plus organisés que l'état de départ. Prigogine a donné le nom de structures dissipatives à ces systèmes afin de souligner le rôle constructeur des phénomènes irréversibles dans les zones éloignées de l'équilibre.
    Afin d'illustrer quelques comportements caractéristiques des états éloignés de l'équilibre, nous allons raisonner sur l'exemple de l'équation différentielle non linéaire suivante :

    dx/dt = m.x - x2

    m est un paramètre qui peut prendre des valeurs réelles quelconques.