Cours de chimie Organique - G. Dupuis - Lycée Faidherbe de Lille



Les nitriles


Introduction

Généralités
On appelle nitriles les composés comportant le groupe cyano lié à une chaîne alkyle ou phényle. Ils ont la formule générale suivante.

Puisque l'hydrolyse des nitriles fournit des acides, ils sont classés parmi les dérivés d'acides. On peut également noter que l'atome de carbone de la fonction nitrile est au même degré d'oxydation que celui d'un acide carboxylique.

Les nitriles étaient appelés naguère cyanures organiques. On peut considérer qu'ils dérivent formellement du cyanure d'hydrogène par remplacement d'un atome d'hydrogène par un groupe alkyle ou phényle. Cette manière de voir est illustrée par la nomenclature radicofonctionnelle qui rappelle celle des dérivés halogénés. Il faut faire attention que l'analogie avec cette classe de composés s'arrête la. Bien qu'ils donnent lieu à des réactions diverses et variées, les nitriles ne sont pas des composés très réactifs comme en témoigne l'utilisation de certains d'entre-eux comme solvants.

Etat naturel

Mandelonitrile

Le mandélonitrile est un hydroxynitrile dont l'un des énantiomères est dessiné ci-dessous.


La fonction alcool du mandelonitrile peut former un acétal en se liant à deux molécules de glucose. Le glucoside appelé amygdaline, est présent à l'état naturel dans les amandes amères de plusieurs fruits (pêche, abricot) [25].

En milieu basique, le mandélonitrile est instable et sa décomposition fournit l'ion cyanure et du benzaldéhyde. En milieu biologique, la décomposition de l'amygdaline aboutit au même résultat grâce à des réactions catalysées par une enzyme : l'hydroxynitrile lyase.

Ces réactions sont mises à profit comme moyen de défense par certains animaux comme les mille-pattes. Le cyanure d'hydrogène libéré est un composé très toxique qui inhibe l'action d'une enzyme intervenant dans la chaîne respiratoire : le cytochrome oxidase a-a3. Le cyanure d'hydrogène a été isolé par le chimiste suédois C. Scheele en 1782 à partir du Bleu de prusse. Il décédera quelques années plus tard, la santé vraisemblablement altérée par le contact répété avec les dérivés du cyanure.

Quelques nitriles importants

Ethanenitrile

L'éthanenitrile est appelé acétonitrile dans l'industrie. On peut le préparer par déshydratation de l'éthanamide. On peut aussi réaliser une réaction de substitution nucléophile des ions chlorure du monochlorométhane par les ions cyanure.


L'éthanenitrile est utilisé comme solvant industriel sélectif dans l'extraction des cires et des graisses.

Benzonitrile

Le benzonitrile ou cyanure de phényle peut être obtenu à partir du diazonium de l'aniline par réaction de type Sandmeyer.

Il est utilisé comme solvant et comme intermédiaire de synthèse en chimie pharmaceutique.

Acrylonitrile

Le propènenitrile ou acrylonitrile a été synthétisé en 1893 par C. Moureu. Il existe plusieurs méthodes de synthèse. L'oxydation du propène en présence d'ammoniac a été mise au point par les chercheurs de la firme Sohio.

Il est utilisé dans la fabrication de fibres textiles (Orlon) et dans la préparation de résines en copolymérisation avec le buta-1,3-diène et le styrène (ABS).

L'acrylonitrile est le plus simple des nitriles a, b-insaturés. Les composés de cette famille constituent d'excellents diénophiles pour la réaction de Diels-Alder. Le tétracyanoéthène (TCNE) qu'on peut considérer comme un dérivé substitué du précédent, est tellement réactif qu'il donne une réaction de ce type avec l'anthracène.

Nomenclature

Substitutive
C'est la nomenclature recommandée par l'UICPA. Le composé est nommé en ajoutant nitrile au nom de l'hydrocarbure possédant le même nombre d'atomes de carbone. L'atome de carbone lié à l'azote porte le numéro 1.

Ethanenitrile

But-3-ènenitrile

Hexanenitrile

Hexanedinitrile

Cyclohexanecarbonitrile

1,3,6-Hexanetricarbonitrile

Radicofonctionnelle
Les composés sont nommés comme des cyanures d'alkyle.

Cyanure de phényle

Cyanure de benzyle

Beaucoup de nitriles sont nommés à partir de noms triviaux formés à partir de celui de l'acide correspondant.

Propriétés physiques

Structure
La structure des nitriles possède une analogie marquée avec celle des alcynes. L'angle entre les liaisons qui partent de l'atome de carbone du groupe cyano vaut 180°.

Puisque l'atome d'azote est plus électronégatif que l'atome de carbone, le groupe cyano est polarisé. On peut rendre compte de cette polarisation par la méthode de la résonance. On remarque l'analogie avec la structure du groupe carbonyle.

Constantes physiques

Composé

M (g.mol-1)

TE (°C)

sol (g/100 mL H2O)

(20 °C, 1 bar)

CH3CN

41

82

miscible

liq

CH3CH2CN

55

97

10

liq

CH3CH2CH2CN

69

117

3

liq

Du fait d'un moment dipolaire élevé, les nitriles ont des températures d'ébullition légèrement plus grandes que celle des alcools de masse molaire comparable.

La miscibilité avec l'eau de l'éthanenitrile s'interprète par la formation de liaisons hydrogène.

Spectroscopie

Spectroscopie infrarouge
Le spectre infrarouge ci-dessous est celui du pentanenitrile (valéronitrile).

La vibration d'élongation de la triple liaison carbone-azote apparaît dans la même zone que celle de la triple liaison carbone-carbone des alcynes.

Groupe

alcyne

nitrile

s (cm-1)

2100 - 2140

2200 - 2300

L'intensité est beaucoup plus grande que pour une triple liaison carbone-carbone du fait d'un moment dipolaire important.

Spectroscopie RMN
Les protons voisins d'un groupe cyano sont pratiquement déblindés de la même façon que ceux voisins d'un groupe carboxy
d'acide carboxylique aux alentours de vers d = 3,5 ppm.


En RMN du 13C, le carbone du groupe fonctionnel sort entre 110 ppm et 125 ppm. Il est donc plus déblindé que l'atome de carbone d'un alcyne qui sort entre 65 et 85 ppm. Cela vient du fait que l'atome d'azote est plus électronégatif que l'atome de carbone et il draine une partie de la densité électronique.

Réactions d'hydratation

Hydratation en amide
La déshydratation d'un amide sous l'action d'agents déshydratants comme PCl5, P4O10, SOCl2. conduit à un
nitrile. Inversement l'hydratation d'un nitrile fournit l'amide.

La réaction est catalysée en milieu acide.

L'iminol se tautomérise en amide plus stable du fait de la grande énergie de liaison du groupe carbonyle.

Avec les nitriles aromatiques, l'hydrolyse peut être arrêtée au stade de l'amide en opérant en présence d'acide sulfurique concentré à une température suffisamment basse.

Une autre méthode d'hydratation sélective des nitriles en amides consiste à utiliser une solution aqueuse d'eau oxygénée en milieu basique [1].

Hydrolyse des nitriles
L'hydratation d'un nitrile fournit dans un premier temps l'amide. Si l'on ne prend pas de précautions particulières, la transformation se poursuit par
l'hydrolyse de l'amide. Selon la nature du milieu, on obtient l'acide carboxylique ou bien l'ion carboxylate.
L'hydrolyse d'un hydroxy-nitrile comme le mandélonitrile fournit un hydroxy-acide, l'acide mandélique.

De même, l'hydrolyse des aminonitriles est utilisée dans la synthèse de Strecker des aminoacides.

Alcoolyse
L'alcoolyse s'effectue en traitant le nitrile par un alcool en présence de chlorure d'hydrogène. On obtient un imidate (iminoéther).

Selon les conditions expérimentales, les imidates conduisent à plusieurs types de composés :

Réactions de réduction

Réduction en aldéhyde par Al(i-Bu)2H
Les nitriles sont réduits en aldéhydes par le bis (2-méthylpropyl) aluminium Al(i-Bu)2H (diisobutylaluminium :
DIBAL-H), un hydrure neutre, à - 78 °C. Une température basse est importante afin de prévenir une réduction plus poussée. Le réactif est un réducteur neutre, électrophile du fait de son caractère d'acide de Lewis.

La réaction se poursuit par le transfert d'un ion hydrure.

En présence d'eau, on obtient une imine .

L'hydrolyse de cette imine fournit l'aldéhyde.

Réduction en amine par H2
La réduction par le dihydrogène est réalisable par catalyse hétérogène. Les catalyseurs utilisés sont les mêmes que pour l'hydrogénation des
composés éthyléniques : Rh, Pd, Pt/C ou PtO2. La température est comprise entre 5 °C et 150 °C et la pression entre 1 et 100 bar. La réduction conduit aux amines primaires, secondaires ou tertiaires via une imine intermédiaire. La formation des amines primaires est favorisée par l'utilisation d'un solvant comme l'anhydride acétique en présence d'une forte pression en H2.

Réduction en amine par LiAlH4
LiAlH4 réduit les nitriles en iminoalanate. Ici plusieurs ions hydrure sont transférables et la réduction se poursuit jusqu'au stade de l'aminoalanate.

Après hydrolyse, on obtient une amine.

Notons que NaBH4 n'est pas suffisamment réducteur pour donner ce type de réaction.

Réactions avec les organométalliques

Organomagnésiens
L'addition d'un
organomagnésien sur un nitrile conduit à la formation d'un sel d'immonium. Ce sel d'imine bien qu'insaturé ne réagit pas avec le magnésien car cela impliquerait deux charges négatives sur le même atome d'azote.

En milieu acide, on obtient une imine non substituée à l'azote.

Les imines non substituées sont facilement hydratées en aminoalcools.

L'aminoalcool obtenu est instable et il est facilement hydrolysé.

Le produit final est une cétone.

Cette réaction qui constitue une méthode de synthèse des cétones, possède une limitation dans le cas où l'atome d'hydrogène situé sur l'atome de carbone en a de la fonction nitrile est trop acide. Il est alors arraché par l'organométallique. De nos jours on utilise plus volontiers la réaction entre un organométallique et un amide de Weinreb.

Organolithiens
L'exemple suivant concerne la réaction entre le
phénylithium et l'éthanenitrile.

L'hydrolyse du sel de cétimine a été détaillée précédemment. On obtient finalement l'acétophénone.

Propriétés des atomes d'hydrogène en a du groupe cyano

Mobilité protonique
Comme chez les composés carbonylés, la mobilité protonique en a du groupe cyano se manifeste par plusieurs phénomènes :

Ces réaction s'interprètent par l'existence d'un équilibre de tautomérie comparable à la tautomérie céto-énolique catalysé par les acides et par les bases.

L'atome central est digonal comme dans un cétène.

Préparation de carbanions
La préparation de carbanions à partir des nitriles s'effectue de la même façon que la préparation des ions énolate de
composés carbonylés. On utilise une base très forte comme le LDA. Puisqu'il n'y a qu'un seul atome de carbone en a, le problème de la régiosélectivité ne se pose pas.

L'anion obtenu ressemble à un ion énolate.

Des carbanions stabilisés par une fonction nitrile sont utilisés dans des variantes de la synthèse malonique.

Alkylation
Elle est comparable à l'alkylation sur l'atome de carbone en a des
composés carbonylés. L'éthanenitrile peut être déprotoné de façon quantitative par le LDA.

Dans l'exemple suivant, l'organolithien obtenu est alkylé par l'oxacyclopropane, le plus simple des époxydes, ce qui provoque son ouverture. L'alcoolate obtenu est piégé sous forme d'éther silylé par réaction avec le chlorure de triméthylsilyle.

On peut aussi utiliser comme base l'amidure de sodium dans l'ammoniac liquide.

Lorsque l'anion obtenu peut être stabilisé par résonance, on peut utiliser une base moins forte. La réaction peut être réalisée dans des conditions douces en utilisant une catalyse par transfert de phase. Le mode opératoire de la synthèse suivante est donnée par le chimiste polonais M. Makosza l'un des inventeurs de ce type de catalyse [29].

Addition nucléophile
L'addition nucléophile d'un carbanion stabilisé par une fonction nitrile sur un groupe carbonyle, ressemble à la
réaction d'aldolisation. On obtient un b-hydroxynitrile qui après déshydratation fournit un nitrile a, b-insaturé.

Les nitriles a, b-insaturés, sont des substrats utiles pour les réactions de Michaël. Un exemple de réalisation expérimentale est donné à la référence [24].

Cyclisation de Thorpe
La cyclisation de Thorpe est une réaction de condensation des dinitriles. Elle consiste en l'addition nucléophile d'un carbanion formé en a d'une première fonction nitrile sur une seconde.

L'imine non substituée formée est hydrolysée et l'on obtient finalement un composé carbonylé.

Cette réaction est à rapprocher de la cyclisation de Dieckmann.

Une variante de la réaction de Thorpe, appelée réaction de Ziegler, consiste à effectuer la cyclisation de dinitriles à haute dilution dans l'éthoxyéthane en présence d'un amidure alcalin.

L'imino-nitrile obtenu est ensuite hydrolysé.

Le céto-acide est décarboxylé. On accède ainsi à des composés carbonylés à grand cycle comme la civétone.

Propriétés nucléophiles de l'azote

Réaction de Ritter
La réaction de Ritter permet de passer des nitriles aux
amides N-substitués.

Elle débute par l'addition nucléophile de l'azote du nitrile sur un carbocation généré dans le milieu réactionnel à partir d'un alcool tertiaire ou d'un composé éthylénique.

L'ion formé est stabilisé par résonance.

L'iminol se tautomérise en amide plus stable.

L'hydrolyse de l'amide permet d'obtenir une amine. Lorsqu'elle est suivie d'une hydrolyse de l'amide formée, la réaction de Ritter constitue une méthode de préparation des alkylamines tertiaires. Celles-ci ne peuvent être préparées valablement par alkylation d'Hofmann de l'ammoniac car on obtient un trop grand pourcentage d'élimination.

Ouvrages expérimentaux
[1] W. J. Hickinbottom, Reactions of Organic Compounds.3e éd., Longman.
[2] P. Rendle, M. V. Vokins, P. Davis, Experimental Chemistry (Edward Arnold).
[3] L. F. Fieser, K. L. Williamson - Organic Experiments (D. C. Heath and Company).
[4] R. Adams, J. R. Johnson, C. F. Wilcox - Laboratory Experiments in Organic Chemistry (The Macmillan Company, Collier-Macmillan Limited).
[5] G. K. Helmkamp, H. W. Johnson Jr, Selected Experiments in Organic Chemistry (W. H. Freeman and Co).
[6] Vogel's Textbook of Practical Organic Chemistry (Longman).
[7] J. R. Mohrig, D. C Neckers, Laboratory Experiments in Organic Chemistry (D. Van Nostrand Company).
[8] R. Q. Brewster, C. A. Van der Werf, W. E. Mc Ewen, Unitized Experiments in Organic Chemistry (D. Van Nostrand Company).
[9] F. G. Mann, B. C. Saunders, Practical Organic Chemistry (Longman).
[10] M. T. Yip, D. R. Dalton, Organic Chemistry in the Laboratory (D. Van Nostrand Company).
[11] Miller, Neuzil, Modern Experimental Organic Chemistry (DC Heath, 1982)

Liens
[20] Nomenclature des nitriles
[21] Propriétés physiques des nitriles
[22] Thorpe cyclisation The Organic Synthesis Archive
[23] (R)-(-)-2,2-diphenylcyclopentanol by Scott E. Denmark, Lawrence R. Marcin, Mark E. Schnute, and Atli Thorarensen
[24] Cyclohexilideneacetonitrile and cinnamonitrile by Stephen A. Dibiase, James R. Beadle, and George W. Gokel
[25] Amygdalin Sigma Aldrich
[26] Thorpe Ziegler method
[27] Ritter reaction Organic Chemistry Portal
[28] a, a, dimethyl-b-phenetylamine by John J. Ritter and Joseph Kalish
[29] Phase Transfer Alkylation of Nitriles by M. Makosza and A. Jonczyk
[30] N-benzylacrylamide by Chester L. Parris
[31] The Sohio Acrylonitrile Process
[32] dl-a-amino-a-phenylpropionic acid by Robert E. Steiger

Articles
H. Baron, F. G. P. Remfry and J. F. Thorpe, J. Chem. Soc. 85, 1726 (1904)
J. J. Ritter and P. P. Minieri, J. Am. Chem. Soc. 70, 4045 (1948)

Ouvrages théoriques
A. Streitwieser Jr, C. H. Heathcock - Introduction to Organic Chemistry, Macmillan Publishing Co.
J. March - Advanced organic chemistry, Wiley Interscience.
F. A. Carey, R. S. Sunberg - Advanced Organic Chemistry, Plenum Press 1990.
V. Minkine - Théorie de la structure moléculaire, Editions Mir 1979.
N. T. Anh - Introduction à la chimie moléculaire, Ellipses 1994.
R. Brückner - Mécanismes réactionnels en chimie organique, De Boeck Université 1999.
P. Laszlo - Logique de la synthèse organique. Cours de l'Ecole Polytechnique, Ellipses, 1993.
P. Atkins - Molecular Quantum Mechanics, Oxford University Press 1983.
J. -L. Rivail - Eléments de chimie quantique à l'usage des chimistes, InterEditions du CNRS, 1989.
P. Chaquin, F. Volatron, Chimie organique : une approche orbitalaire de Boeck 2015


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Texte, dessins, photographies : Gérard Dupuis - Lycée Faidherbe de LILLE
novembre 2016