La théorie de Binet

Texte original

Compte rendu des séances de l’Académie des Sciences

Séance du lundi 17 février 1851

[...

Mécanique - Suite de la note sur le mouvement du pendule simple en ayant égard à la révolution diurne de la Terre, par M. Binet

Première partie de la résolution

Les équations différentielles du mouvement relatif d’un pendule simple d’une longueur r, en ayant égard à la rotation diurne de la Terre résultent soit des formules de Laplace, établies dans le quatrième volume de la Mécanique céleste, soit celle que Poisson a données dans le Journal de l’École Polytechnique, 26e cahier, je vais rapporter ces formules en me servant, à peu près de la notation de Poisson : n sera la vitesse angulaire de la Terre de l’occident vers l’orient, γ la latitude géographique du point de suspension du pendule ; g la pesanteur terrestre combinée avec la force centrifuge locale provenant de la rotation de la Terre ; les coordonnées rectangulaires x, y, z auront leur origine au point de suspension ; l’axe positif des x est dirigé vers l’Est, l’axe de y vers le Nord, et les z positifs sont dirigés de haut en bas, dans le sens vertical de la chute des graves ; N est la tension du fil du pendule simple, ou la pression normale que supporte la surface sphérique : cette force est dirigée vers l’origine des coordonnées, et elle forme avec les axes des angles qui ont , ,  pour cosinus. En négligeant la résistance de l’air, les trois équations différentielles du mouvement du pendule seront :

Entre les coordonnées, on a  d’où l’on tire les relations  et .

En multipliant par dx, dy, dz les équations (a) et en les ajoutant, tous les termes affectés de N et de n se détruisent, et il reste simplement  dont l’intégrale est .

On aura la pression N en multipliant par x, y, z les mêmes équations différentielles et en les ajoutant ; on remplacera dans la somme  par , et il viendra

.

On substitue la valeur , au carré de la vitesse, et il vient

.

La vitesse angulaire de la Terre, représentée par le coefficient n dans ces formules, est une très petite fraction, savoir , si l’on prend la seconde sidérale comme unité de temps, et alors,  de degré ; et quand on prend la seconde de temps moyen solaire , ce qui surpasse un peu la première valeur, rapportée à une autre unité de temps.

Tous les termes multipliés par n peuvent être assimilés à des forces perturbatrices du mouvement déterminé par les mêmes équations où l’on aurait posé n=0 : ce seraient alors les équations du pendule conique dont on a les intégrales qui renferment quatre paramètres arbitraires ; pour avoir égard aux termes multipliés par n, selon la méthode connue de la variation des constantes arbitraires, on rendra variables les quatre paramètres ; et leurs différentielle étant obtenues pourront être intégrées par approximation.

Notre objet actuel permet de simplifier cette recherche, parce que nous pouvons nous borner à considérer les petites digressions ou oscillations d’un pendule autour de sa position d’équilibre, autour de la verticale, sa distance  à l’axe des z doit demeurer une petite quantité, ainsi que les vitesses , , , elles seront traitées comme des quantités du premier ordre.

On a  ainsi, en voulant négliger les  dans z, on aura . En remplaçant z par cette valeur dans la dernière des formules de (a), on aura   remplace le facteur  : dans la première approximation, on peut négliger le terme , ainsi que les termes en  et  qui demeurent du second ordre : on y aura égard si on le veut dans une approximation ultérieure. La valeur de N sera ainsi réduite à .

Pour abréger, nous poserons , et les deux premières équations (a) deviendront :

Le terme  doit être rejeté dans l’approximation suivante, étant de l’ordre déjà négligé dans le premier membre où N est remplacé par . Les équations deviennent donc en posant ,

On satisfait à ces équations linéaires par les valeurs  et , p et  étant deux constantes arbitraires, et  une quantité constante qui va être déterminée. La substitution dans l’une ou l’autre des équations (a) donne la même formule, savoir . Après avoir divisé par , cela se réduit à . On obtiendra  en résolvant l’équation , ses racines  et  sont de signes contraires, savoir,  et . On remarquera que  est une quantité négligeable relativement à , parce que  et nous prendrons  et . On satisfait évidemment aux mêmes équations (a’) par les valeurs  et  ; or les équations différentielles étant linéaires, l’on sait que les expressions générales des variables x et y se composent de la somme des valeurs particulières, ainsi, l’on a  et .

L’instant à partir duquel on compte le temps étant arbitraire, on pourra rendre égales les constantes arbitraires  ; la constante ainsi supprimée sera comprise dans la variable t : les deux autres constantes p et p1, quoique arbitraires, doivent cependant être telles que x et y demeurent de petites quantités, selon l’hypothèse. Ajoutons les carrés des coordonnées  cela donne, pour ,  parce que .

Cette valeur revient à  et en posant  et , on aura. Ainsi la valeur de  est nécessairement comprise entre  et , et, en posant que  soit supérieur à , on aura constamment . Par conséquent, il suffit que la constante  soit une petite quantité pour que ces résultats soient conformes à l’hypothèse des petites oscillations.

Seconde partie de la résolution

On voit qu’après chaque durée  la distance  reprend périodiquement sa valeur, mais il n’en n’est pas tout à fait ainsi de x et y : ces coordonnées éprouvent de petites altérations dont nous allons reconnaître les effets. Substituons dans x et y pour  et  les quantités  et  ; elles deviennent

ou bien  or  et , on a donc , d’où l’on tire

Pour interpréter plus clairement ces expressions, nous concevrons le pendule simple (ou l’extrémité du rayon sphérique) comme projeté sur le plan tangent horizontal, inférieur à la sphère décrite avec le rayon r ; nous nommerons P cette projection mobile à l’égard de deux axes des x et y parallèles à ceux qui passaient par le point de suspension ; le point mobile ne s’écartant du plan tangent inférieur que d’une quantité du second ordre, est dans toutes ces situations extrêmement voisin de sa nouvelle projection : suivre des yeux cette projection est presque suivre des yeux le pendule lui-même.

Soit  l’azimut de la projection horizontale P mesurée de l’Est vers le Nord, c’est-à-dire dans le sens de circulation des x positifs aux y positifs ; en sorte que  et  ; par les valeurs précédentes, on aura  ou bien  et semblablement .

Soit encore et  ; on voit que ξ est la projection du point P sur une droite qui comprendra  avec l’axe des x, car elle forme alors l’angle  avec ρ ; ν sera la perpendiculaire abaissée de P sur cette même droite ; et ξ est donc une droite mobile. Cela posé, on a  et  et en ajoutant les carrés de ces valeurs,  ainsi les coordonnées ν et ξ appartiennent à une ellipse dont les axes  et  sont constants ; mais le grand axe de cette ellipse est uniformément mobile autour de son centre. La valeur de l’angle azimutal  prouve que le sens du mouvement est rétrograde du nord vers l’est, la vitesse angulaire constante , étant , où γ est la latitude. Cette vitesse est nulle quand la station est à l'équateur où  ; elle serait  pour une station polaire. Quand on pose , selon l'hypothèse ordinaire où l'on néglige la rotation de la terre, la projection devient l'ellipse invariable indiquée par M. Pouillet, dans le cas de des petites oscillations du pendule simple.

La durée d’une oscillation étant, la déviation de l’axe de l’ellipse est, pendant ce temps, de  ; quantité extrêmement petite, mais qui, se reproduisant dans le même sens à chaque oscillation, devient promptement sensible et appréciable.

La vitesse angulaire du plan oscillatoire autour de la verticale est  ; il convient de remarquer qu'elle est précisément égale en grandeur, et de direction contraire à une composante de la vitesse de rotation de la terre n décomposée en deux vitesses angulaires : l'une aurait, pour axe de rotation la verticale, et l'autre, la méridienne dirigée vers le nord. Ces deux droites et une parallèle à l’axe de la terre passant par le point de suspension du pendule sont dans un même plan ; la parallèle à l’axe de la terre fait avec la méridienne, l’angle γ, et l’angle  avec la verticale ; d’après le théorème d’Euler sur les vitesses angulaires de rotation, la composante de n avec la verticale est . Ainsi l’angle azimutal s’accroît comme si la terre était entraînée autour de la verticale par la composante horizontale de sa vitesse angulaire, et que le plan oscillatoire fût entièrement fixe, sans avoir égard à la seconde composante . Au pôle, cette dernière composante est nulle ; la proposition est alors évidente et c’est le point de départ des considérations ingénieuses qui ont amené M. Foucault à son expérience.[...]


Résolution de l’équation du pendule à la manière de Binet

Première partie de la résolution

Pour la résolution de l’équation différentielle des mouvements du pendule de Foucault, telle que Jacques Binet l’a menée, on part du système d’équations que Poisson a établi par différents changements de base, à savoir :

Remarque :      N, que Jacques Binet nomme « pression », n’est pas une tension en réalité. Calculons l’unité de N : . Donc N s’exprime en . On pouvait également le remarquer en notant que les équations ont été obtenues grâce à la relation fondamentale de la dynamique puis en divisant les équations obtenues par la masse de la sphère suspendue au fil.

Le fil reliant la sphère à son point d’attache étant inextensible, on a . Donc, en différentiant cette équation une fois, puis deux fois, on obtient les équations suivantes :

 et

On obtient une nouvelle équation à partir des relations entre les différentielles et du système d’équations du pendule de Foucault :

On intègre cette équation :

Dans (G), c est une constante d’intégration.

Remarque :     On peut retrouver cette équation à partir du théorème de l’énergie cinétique ; en effet, on a, d’une part, la puissance du poids qui vaut  d’où  où m est la masse de la sphère suspendue au fil, et d’autre part, , et puisque l’on a égalité entre les deux, on retrouve le résultat.

En substituant les valeurs ainsi déterminées dans (a), il vient :

Or  est négligeable devant les autres termes et :

(On effectue un DL1(0) de , possible car x et y sont négligeables devant z, donc  est négligeable devant r : ).

À partir de là, on dérive z par rapport au temps, et il vient :

D’où, en réalisant un DL1(0) de  à partir de l’équation (C) :

Lorsqu’on néglige les termes du second ordre, c’est-à-dire, ,  et le terme  (négligeable car n est petit de même que , on peut le considérer comme un terme du second ordre). On a .

Remarque :      Ce résultat est prévisible étant donné que les oscillations sont de faible amplitude, donc la tension du fil est quasiment verticale puisqu’elle suit sa direction. De plus, à l’équilibre, le poids et la tension du fil s’annulent, d’après la relation fondamentale de la dynamique.

On note maintenant , mais aussi . On obtient alors, en remplaçant N et  par leurs valeurs dans (a) :

.

Or  qui est assimilable à un terme du second ordre, puisqu’il comporte n, vitesse angulaire de rotation de la Terre, qui est petite et  qui est une quantité du premier ordre. On peut donc négliger ce terme. On trouve donc :

.

Selon Jacques Binet, les solutions sont de la forme .

Remarque :      Ces solutions ne sont pas justifiées. En effet, à l’époque de la publication de cet ouvrage, lorsqu’une solution était juste, on considérait que toutes les solutions étaient de cette forme (si une solution convenait, alors, les autres étaient de la même forme). Aujourd’hui, on retrouve ces résultats grâce à la méthode complexe. En effet, . Si on considère le complexe , on obtient l’équation différentielle linéaire d’ordre deux . Alors, on retrouve les mêmes solutions que Binet : l’équation caractéristique associée à l’équation différentielle ci-dessus est  et a pour solutions r et r1 tels que , donc les solutions pour u sont , on peut en conclure que les solutions pour x et y sont de la forme :

On a donc ici les valeurs de μ, μ1, ε et ε1.

On a alors

. Si on reporte ces valeurs dans , on obtient l’équation du second degré en  :

. De même, le report de ces mêmes valeurs dans l’équation  permet de retrouver le résultat précédent :

On peut maintenant résoudre cette équation  donc, les solutions sont  et .

Or  et , donc  est négligeable devant , on peut donc considérer que  et .

Les solutions de l’équation différentielle sont de la forme  et .

Binet pose ensuite .

Remarque :      On a vu, dans la résolution moderne de l’équation du pendule, que la résolution de l’équation différentielle donnant le complexe u en fonction du temps donne l’égalité entre ε, ε1 et zéro.

En remplaçant par leurs valeurs les quantités μ et μ1, on obtient :

, que l’on transforme :

On pose deux nouvelles inconnues :  et . On a donc . Étudions la fonction  en fonction du temps :

. si on suppose , on a le tableau de variation suivant :

t

0

+

-

-

+

+

+

-

-

-

-

-

-

-

+

-

+

Les variations de  nous indiquent clairement que  :

Donc, il est nécessaire que  soit une petite quantité pour que ρ soit une petite quantité, c’est-à-dire, pour que l’on se trouve dans le cadre de petites oscillations. Et par définition, , où p et p1 sont des réels tels que  et . Les longueurs x et y restant négligeables devant r ; p et p1 restent eux aussi négligeable devant r, donc,  est une petite quantité.

Seconde partie de la résolution

ρ est périodique, c’est-à-dire qu’on remarque qu’après chaque période , ρ reprend la même valeur (). Mais il n’en va pas de même pour x et y :

Remplaçons μ et μ1 par leurs valeurs (respectivement  et ) dans l’expression de x et de y :

que l’on transforme de sorte que cela devienne :

On remplace  et  par leur valeur respective  et , on a donc . D’où l’on tire l’expression de  et de  en fonction de x, y,  et  :

On considère maintenant que les coordonnées x et y de la sphère suspendue au fil sont celles du projeté P de la sphère sur le sol comme décrit par le schéma suivant :

Ceci est possible étant donné qu’on se trouve dans le cas de petites oscillations, donc la sphère rase le sol et se trouve non loin de P.

Soit  tel que  et

Remarque :       Binet appelle υ un « azimut de la projection horizontale P mesurée de l’Est vers le Nord », c’est-à-dire une direction ; mais, en réalité, puisque  et , on peut considérer que l’on se place en coordonnées polaires où ρ et υ sont les coordonnées polaires, ρ étant la distance de P au pôle et υ l’angle entre l’axe polaire des x et la droite (OP).

En remplaçant les coordonnées cartésiennes x et y par les coordonnées polaires de P ρ et υ dans les équations (S), on obtient :

À partir de maintenant, on notera  et . Concrètement, on remarque que, puisque  et  et , ξ et ν sont les projections de P dans un plan tel que les coordonnées polaires de P soient ρ et ν, on a donc un axe polaire en décalage par rapport à l’axe des x, et ce décalage vaut  : on note ξ l’axe des abscisses et ν celui des coordonnées dans cette nouvelle base, qui, il faut le rappeler, est mobile dans le repère (Oxyz), en effet, l’angle  où S est la projection orthogonale au sol du point de suspension du pendule, vaut  et dépend donc du temps.

On a donc  et . Ces relations donnent l’équation : .

Ceci est l‘équation d’une ellipse, en effet, ρ1 et ρ2 sont fixés, donc, ξ et ν sont les coordonnées d’un point qui décrit une ellipse, donc le grand axe est  et le petit axe est . Mais il ne faut pas oublier que le grand axe de cette ellipse possède un mouvement rétrograde par rapport à la rotation de la Terre, tel que l’orientation de cet axe par rapport à l’axe de référence des x soit de .

Interprétation des résultats obtenus

Lorsqu’on donne un mouvement au pendule, l’oscillation se trouve dans le plan . La vitesse de rotation du plan du pendule est donc de , soit, en valeur absolue, .

Si on se trouve au pôle, on a , donc , le plan d’oscillation du pendule tourne à la même vitesse que la Terre ; au contraire, si on se trouve à l’équateur, , donc , c’est-à-dire que le plan d’oscillation du pendule ne change pas, on se trouve dans le cas du pendule simple dans un référentiel galiléen, comme si on négligeait la rotation de la Terre.

Durée d’une oscillation

Déviation du plan du pendule pendant une oscillation

Vitesse de rotation du plan d’oscillation du pendule

 

Conclusion

Jean Léon Foucault fût un véritable touche à tout génial. Rares sont les disciplines scientifiques où il ne laissa pas sa trace. D’un point de vue pratique, nous sommes aujourd’hui les héritiers de son gyroscope, de sa méthode dite de « Foucaultage » (contrôle de la surface des miroirs encore utilisé par les astronomes et les opticiens) mais aussi dans le domaine de la microphotographie ou des télescopes. D’un point de vue théorique, il apporta également une contribution non négligeable que ce soit par ses mesures de la vitesse de la lumière ou par ses recherches sur les courants dits de « Foucault ».

C’est par cet équilibre entre recherches fondamentales et recherches appliquées que vient l’originalité du savant qu’était Foucault et qui ont fait de lui le grand chercheur que nous connaissons.

Toutefois c’est surtout pour l’expérience du pendule qui porte son nom que l’on se souvient de Foucault. En effet, cette dernière s’est distinguée des autres expériences scientifiques qui sont le plus souvent réservées aux initiés, par la relative simplicité de sa mise en œuvre et le fait qu’elle mettait à la portée du regard de tous, du plus grand physicien au plus modeste citoyen, la rotation de la Terre. Son caractère spectaculaire fit sa grande popularité qui provoqua une véritable manie du pendule à travers le monde. Dans le cercle restreint des physiciens, cette expérience fut le prétexte à de nombreuses théories plus ou moins proches de la réalité qui, d’un côté, révélèrent des erreurs commises par certains par le passé et de l’autre, confirmèrent des travaux alors non vérifié par la pratique.

Dans la continuité de cette expérience, Foucault créa le gyroscope, outil qui a eu et qui a encore une importance capitale de nos jours, avec les gyro-lasers, dans le domaine de l’aéronautique ou de la marine.

Aujourd’hui, Foucault n’est pas oublié, son pendule est devenu, en quelque sorte, une œuvre d’art que l’on peut admirer partout dans le monde que ce soit en Europe, aux Amériques, en Asie ou sur tout autre continent et qui continue à fleurir ici et là.