Différentes interprétations théoriques

Le pendule de Foucault... avant Foucault

Beaucoup de scientifiques ont tenté avant Foucault de trouver une expérience rendant visible les effets de la rotation de la Terre. L’expérience du pendule n’aurait peut être pas eu lieu, si au XIXe siècle, les expérimentateurs s’étaient concertés avec les théoriciens. En effet, Léon Foucault n’avait pas connaissance de toutes les théories élaborées dans le domaine du pendule, par exemple, Poisson, qui étudiait l’effet de la rotation de la Terre sur le mouvement des projectiles, pensait que l’influence de celle-ci était trop faible pour être rendue visible par l’expérience du pendule.

Dans son Mémoire sur le mouvement des projectiles dans l’air, en ayant égard à la rotation de la Terre publié dans le Journal de l’Ecole Polytechnique du 13 novembre 1837, où son étude est essentiellement cinématique, il affirme que l’influence de la rotation de la Terre sur un pendule simple est trop faible pour atteindre des résultats visibles, encore moins spectaculaires. Il s’occupe de la déviation des projectiles vers l’Est lorsque ceux-ci sont simplement lâchés ou vers l’Ouest lorsqu’ils ont une vitesse initiale verticale, mais ces expériences ne sont pas observables par tous. La mise en évidence de ces déviations se fait essentiellement par une étude cinématique et par changements de repères.

Il s’intéresse tout particulièrement à la balistique mais dans son article il étend son étude à la déviation vers l’est et cite l’exemple du pendule. Par plusieurs changements de repère (du repère absolu que l’on appelle géocentrique au repère terrestre), Poisson montrait qu’il existe des effets de la rotation de la Terre sur le mouvement de projectiles :

 « Indépendamment de la force centrifuge provenant de la rotation de la Terre, et qui influe sur le mouvement des corps pesants, en diminuant la gravité, d’une quantité variable avec la latitude ; cette rotation produit encore, dans ces mouvements, certaines déviations qu’il est intéressant de connaître, soit en elles-mêmes, soit pour savoir jusqu’à quel point elles peuvent influer sur la trajectoire des projectiles, et s’il est nécessaire d’y avoir égard dans la pratique de l’artillerie. »

Poisson insiste bien ici sur le fait que l’effet de la rotation de la Terre peut être négligé dans certains cas mais pas dans d’autres. Plus loin dans son Mémoire, il cite l’exemple du pendule simple :

« Si un corps se meut sur une courbe donnée et attachée fixement à la surface du globe, l’équation différentielle de son mouvement ne contient pas la vitesse de rotation de la Terre et ce mouvement est le même, en conséquence, que si la Terre était au repos. Ainsi, pour une valeur donnée de la pesanteur, résultante de la figure et de la rotation du sphéroïde terrestre, les oscillations du pendule sont les mêmes dans tous les azimuts autour de la verticale ; [...] mais le mouvement diurne et la direction du plan des oscillations ont une petite influence sur la tension variable que le fil éprouve pendant qu’elles ont lieu qui n’est pas rigoureusement la même dans tous les azimuts. »

Ceci signifie que la rotation de la Terre n’influerait d’aucune manière sur le plan d’oscillation du pendule, cependant, la tension du fil serait différente selon le plan choisit.

Dans la suite de ce Mémoire, Poisson explique comment il trouve les « équations du mouvement apparent », c’est-à-dire, les équations différentielles du mouvement d’un projectile quelconque dans le référentiel que nous nommons aujourd’hui « terrestre ».  Ces équations seront reprises par Binet, dans le cas spécifique du pendule, après l’expérience du Panthéon. Elles sont dans le cas général :

où l’axe positif des x est dirigé vers l’Est, l’axe des y vers le Nord, les z positifs sont dirigés de bas en haut, est la résistance de l’air avec c un coefficient proportionnel à la densité de l’air et  est la vitesse totale du projectile (c’est-à-dire que )

L’interprétation de Foucault

La théorie n’occupe pas une place essentielle dans les travaux de Foucault. La lettre qu’il a rédigée après le succès de son expérience au Panthéon (Lettre à laquelle obéit la déviation du pendule) en est une preuve. En effet, la description de l’expérience occupe la majeure partie de son écrit pour ne laisser la place à la théorie qu’à travers quelques formules empiriques, comme le sinus de la latitude qui interviendrait dans la vitesse rotation du plan d’oscillation du pendule. Cette lacune en théorie peut expliquer la difficulté qu’il rencontra pour intégrer l’Académie des Sciences, alors représentée par des théoriciens de renom. Certains d’entre eux, notamment Jacques Binet, professeur de mécanique à l’Ecole Polytechnique et professeur d’astronomie au Collège de France, se sont penchés sur la question du pendule, afin d’établir l’équation et d’interpréter le mouvement du pendule. Suite à l’expérience historique, et avec le progrès des sciences, la théorie s’est simplifiée avec le temps.

Revenons à la lettre écrite par Foucault, il écrit :

« Elle a seulement l’avantage de parler directement aux yeux et de montrer en toute évidence comment le phénomène s’annule à l’équateur et change de signe dans l’autre hémisphère. »

On se rend vite compte que Foucault ne cherche pas ici à développer une théorie rigoureuse sur le phénomène du pendule. Il semble ne s’intéresser qu’à des considérations empiriques ou du domaine de l’intuition. Ce sentiment se confirme dans la suite dans sa lettre :

« Je commence par poser effrontément le postulatum tel que celui-ci : Quand la verticale, toujours comprise dans le plan d’oscillation change de direction dans l’espace, les positions successives du plan d’oscillation, sont déterminées par la condition de faire entre elles des angles minima. Autrement dit et en langue vulgaire : lorsque la verticale sort du plan d’impulsion primitive, le plan d’oscillation la suit en restant aussi parallèle que possible. »

Foucault fait ici usage de postulats, qui sont les bêtes noires de la plupart des théoriciens et toute sa démonstration repose sur ce postulat :

x est l’angle de déviation entre PB et AC, λ est la latitude et

 « […] En ce point M, on établit un pendule que l’on lance dans le plan même du méridien AC. La Terre, qui tourne d’occident en orient, entraîne le point M et le transporte en B ; mais d’une part elle transporte la trace du méridien PM en PB ;  et d’autre part elle déplace le plan d’oscillation qui ne cesse d’être assujetti, […] »

Pour finir c’est par le simple énoncé de la relation géométrique entre les sinus des angles et le sinus des cotés et l’approximation des petites oscillations qu’il énonce « sa fameuse loi du sinus » :

Malgré le manque de rigueur et tous les reproches que l’on peut faire à sa théorie et que ses contemporains ont fait, Foucault n’était pas loin de la vérité comme le montra Binet un peu plus tard.

Des explications concurrentes

Bien avant le XIXe siècle, les Hommes se sont intéressés à la rotation de la Terre. A l’époque de Léon Foucault, plus personne ne doute de la rotation de la Terre, mais aucune expérience observable par tous ne le démontre. Poisson, comme nous venons de le voir, pensait même qu’il n’existerait jamais de telle expérience.

La même année que Poisson, en 1837, Louis Poinsot, géomètre de son état, propose une théorie originale pour expliquer le mouvement du pendule, basée sur l’application de la géométrie à la mécanique. Il écrivait, à propos du pendule :

« Le phénomène […] dis-je, est un phénomène purement géométrique, et dont l’explication doit être donnée par la simple géométrie, comme l’a fait M. Foucault, et non point par des principes de la dynamique qui n’y rentrent pour rien. »

Après le succès de l’expérience du Panthéon, les théories se sont succédées. La première, une des plus remarquables, fut celle apportée par Jacques Binet, en tant que compte-rendu de l’expérience historique, à l’Académie des Sciences. L’approche du problème physique est plus dynamique que celle de Poisson et plus sérieuse que celle de Poinsot. Par des changements de repères, il a mis en évidence des accélérations que nous nommons, de nos jours, accélérations de Coriolis et d’entraînement, responsable de la rotation du plan d’oscillation du pendule.

A l’occasion du succès du pendule du Panthéon, même les revues ont proposé leur théorie, par exemple, la revue satirique « Punch » estime que chacun peut observer la rotation de la Terre par la seule absorption de six verres de Cognac à l’eau, le plafond du bar tourne !

Aujourd’hui, la méthode de mise en équation reste globalement la même, mais les notations sont différentes (les changements de repère sont remplacés par les accélérations de Coriolis et d’entraînement).

Les travaux de Coriolis

Les forces de Coriolis, expliquant la rotation du plan d’oscillation du pendule, étaient alors connu depuis très peu de temps. C’est en effet Gaspard Gustave Coriolis, un ingénieur et mathématicien français qui, en 1835, dans son Mémoire sur les équations du mouvement relatif des systèmes de corps dériva mathématiquement la force qui devait, plus tard, porter son nom. Dans cet ouvrage, il introduit la notion de forces que nous nommons aujourd’hui  forces d’inertie d’entraînement et de Coriolis :

« J’ai montré que pour appliquer le principe des forces vives aux mouvements relatifs des systèmes entraînés avec des plans coordonnés ayant un mouvement quelconque dans l’espace, qui sont capables de forcer les points matériels à rester invariablement liés aux plans mobiles auxquels on rapporte les mouvements relatifs. »

Un peu plus loin dans son Mémoire, il précise ces notions :

« Pour établir une équation quelconque, il suffit d’ajouter aux forces existantes deux espèces de forces supplémentaires ; les premières sont [...] des forces opposées à celles qui sont capables de maintenir les points matériels invariablement liés aux plans mobiles : les secondes sont dirigées perpendiculairement aux vitesses relatives et à l’axe de rotation des plans mobiles ; elles sont égales au double du produit de la vitesse angulaire des plans mobiles multipliée par la quantité de mouvement relatif projetée sur le plan perpendiculaire à cet axe. »

On peut reconnaître ici dans les premières les forces d’inertie d’entraînement et dans les secondes les forces d’inertie de Coriolis qu’il appelle dans son mémoire « Forces centrifuges composées » par analogie avec les forces centrifuges. L’argumentation de Coriolis était surtout basée sur une analyse du travail et de l'énergie potentielle et cinétique dans les systèmes en rotation.